Le salaire à vie, une idée à (re)découvrir

Cet excellent reportage "mes chers contemporains" remet sur la table de manière très riche, convaincante et argumentée le concept de "salaire à vie" selon Bernard Friot. Délirant? Et si on vous démontrait que ça existe déjà et que ça marche!

 Bernard Friot2

Le "salaire à vie" semble à première vue un concept assez farfelu, le doux rêve d'une poignée d'anarchistes croyant au père Noël - les deux à la fois, une gageure!? Pourtant, si on y regarde de plus près en prenant un peu de hauteur - ce qui, là aussi, est très fort! - on constate que:

  • Le capitalisme et la maximisation des gains de productivité qu'il promeut permet de produire toujours plus avec toujours moins de temps de travail humain
  • Le chômage est donc un produit direct du système. C'est un phénomène structurel et non conjoncturel
  • Le chômage et la précarité sont les armes du capitalisme moderne pour dévaloriser toujours plus les conditions du "contrat de travail" pour l'employé
  • Comment d'une part défendre les conditions d'emploi, et d'autre part faire vivre alors les personnes dont la force de travail n'est plus utile au système productif?
  • La solution proposée ici passe par l'abolition du marché du travail, une manière d'empêcher l'aliénation de l'homme au système productif qui en conditionne l'anxiété et les comportements
  • Cette abolition est déjà à l'œuvre dans le principe de la fonction publique, où le salaire serait décorrélé de l'emploi - et plutôt lié à la personne.
  • Le salaire à vie, contrairement au revenu de base qui n'est qu'une "roue de secours du capitalisme", reflèterait la reconnaissance d'un travail, pas toujours considéré dans le PIB, et une vrai contribution à la création économique et sociale.

Voilà certains arguments clés de ce reportage, à la fois riche en information, extrêmement documenté, et très divertissant - troisième gageure!

 

Au final, il s'en dégage un vrai projet de société sous-jacent qui "nous libère tout en nous donnant davantage de responsabilité"... tiens donc, revoilà dans laCourbe du chômage même phrase les deux piliers de la vision développée dans Polype et la Révolution Heureuse!

J'ai commencé à visionner ce reportage avec une bonne dose de scepticisme. Je craignais justement l'amalgame avec le revenu de base, l'incitation à l'oisiveté, l'appel un peu rouillé à l'égalité par le bas. Le reportage ne répond pas franchement à une question pourtant posée au début: que faire des personnes dans la force de travail n'est plus utile au système? La réponse se devine entre les lignes. L'illustration par le retraité en fin de reportage reflète justement la vision de Bernard Friot que l'homme doit, et restera naturellement actif et créateur de valeur pour la société. Le salaire à vie permet de sortir de l'asservissement au détenteur du capital d'investissement, mais sans remplacer le parasitage de l'élite financière par d'autres formes de parasitage.

Une idée phare que je retiens, et que le salaire à vie - rattaché à une activité productrice réelle et contre l'idée de "revenu de base" - vise à remettre la personne au cœur du système productif, et non pas de "l'en remercier" - l'en expulser contre une obole - qui serait le dernier pas vers la capitulation sans condition et l'asservissement du peuple au profit des pouvoirs financiers détenteurs des instruments de création de richesse.

Remplacement de lhommeIl s'agit donc ni plus ni moins d'une redéfinition de l'activité productive et créative, portée par l'évolution du système fiscal, financier et légal pour revaloriser des activités à caractère social ou environnemental pour lesquelles l'humain sera toujours l'ingrédient essentiel et irremplaçable. Il faut redéfinir la place de l'humain dans le système de création de valeur, et non pas l'écarter avec la carotte anesthésiante d'un revenu minimum. Pas besoin d'une révolution pour cela, mais défendre - l'éducation, la santé, la fonction publique... - et étendre le fonctionnement du système des cotisations via des caisses de salaires et d'investissement à des secteurs cruciaux et stratégiques de notre économie comme les transports, le logement, l'alimentation...

La révolution heureuse ne semble pas si surréaliste que ça! Mais reste à garantir qu'une telle réforme structurelle du rapport au travail, dont la dimension libératrice est évidente, s'accompagne aussi d'une réponse responsable à l'échelle individuelle et collective, d'une incitation à l'épanouissement et à l'humanisme qui est en nous plutôt qu'à la facilité et l'égoïsme. Bref, en termes crus, comment gérer les paresseux, les parasites et autres passagers clandestins? Et cela ne se construira pas par des lois et des instruments de contrôle, de stress et de peur, mais par une évolution de nos consciences encouragée par la réorientation massive de notre système deoptimiste offensif pensée contemporain fondé sur le consumérisme et la compétition... D'où le rôle central de l'éducation et la transmission - scolaire, sociale, familiale... - pour reconstruire notre capital social et promouvoir l'esprit civique dans un cadre collectif émancipateur.

Si la recherche de profit est aujourd'hui le moteur de la créativité, de l'innovation et des gains de productivité des entreprises, cette manière de redistribuer la richesse sans nourrir les appétits de l'élite qui détient le capital n'est-elle pas vouée à suivre la trajectoire de déclin du modèle soviétique? Comment motiver les salariés à innover et produire pour ne pas asphyxier le système et démotiver les plus entreprenants? La question mérite d'être approfondie. D'une part la recherche de profit comme source de motivation première d'une organisation productive est une construction sociale très récente, probablement temporaire, que l'on doit pouvoir dépasser. D'autre part, l'élargissement du système de salaire à vie pourrait se faire de manière graduelle dans des secteurs stratégiques où la notion de "gestion durable du bien commun" doit redevenir centrale au détriment de la notion de "maximalisation de la valeur financière" sans que cela suppose nécessairement une incapacité du système à réinvestir dans des pratiques porteuses et innovantes. Enfin, une "méritocratie positive" pourrait toujours être injectée dans un tel système, pour permettre à ceux souhaitant une rétribution financière ou un statut social élevé en rémunération de leur implication, d'évoluer dans le cadre d'une échelle de répartition des salaires et de parcours professionnels motivants - 6.000€ par mois comme proposé par Friot, c'est pas si mal... - mais plus raisonnables que dans le système de "starisation" actuel par le "mercato" de l'emploi...

Add a comment