2008-2013, Premiers pas dans REDD+

Conscient du rôle important que joue la forêt et surtout la déforestation en matière de changement climatique, la communauté internationale a longtemps cherché à s'accorder sur une manière d'inciter les pays à réduire la déforestation et la dégradation forestière, y compris par la gestion durable des forêts et la conservation, et d'augmenter la capture du carbone par l'expansion des forêts. En 2005, le principe a été placé à l'agenda des discussions internationales, et en décembre 2007 à la Conférence de Bali, le mécanisme d'incitation a enfin été défini, cadré et ouvert aux négociations entre les Parties sous le sigle de REDD+. L'élaboration aura pris six années, et en décembre 2013 le Cadre de Varsovie pour REDD+ instaura finalement le mécanisme opérationnel.
Pour une introduction à REDD+ en 4 minutes, j'avais donné une petite interview qui pose le cadre général pour France Nature Environnement pendant la COP de Copenhague. Evidemment il y a mieux et en image, par exemple ici.
En ce qui me concerne, j'ai été (modestement) impliqué dans l'élaboration du mécanisme et son expérimentation à l'échelle de différents pays depuis 2007. A l'époque, j'ai appuyé le Gouvernement de Madagascar dans l'organisation du processus national, l'élaboration d'un plan de préparation - par exemple avec l'élaboration d'un état des lieux financé par la Banque Mondiale - et dans les négociations internationales.

Cascade foretEntre 2009 et 2012, j'ai ensuite coordonné pendant plus de trois ans le programme ONU-REDD à Kinshasa, en République Démocratique du Congo. Cette expérience m'a permis d'explorer mais aussi d'élaborer et de mettre en œuvre les multiples facettes de ce mécanisme. En fait, comme il s'agit de réduire la déforestation, et comme les causes directes et sous-jacentes de cette déforestation sont multiples, dans de nombreux secteurs, à toutes les échelles, et à travers d'innombrables acteurs, cela signifie qu'une bonne stratégie REDD+ passe nécessairement par l'identification et la mise en œuvre de réponses diverses et complémentaires: comment réconcilier forêt et développement, comment aligner des programmes agricoles ou énergétiques avec les objectifs REDD+, comment engager le secteur privé ou encore respecter le consentement libre, préalable et informé des peuples autochtones et des communautés locales, comment construire l'engagement politique au plus hauts sommets de décision, comment coordonner les partenaires techniques et financiers, comment construire les capacités nationales et locales etc.

Vous trouverez ici plusieurs liens qui témoignent de quelques travaux entrepris à cette époque, et des progrès réalisés par la RDC :

  • Article sur l'état d'avancement et les perspectives en 2010 
  • Emission Karibu Environnement diffusée à la télévision nationale dans le cadre de la première Université REDD+ en 2010 (une innovation à l'époque!)
  • Article de Novethic sur la lutte contre la déforestation dans les Etats fragiles tels que la RDC
  • Article de sensibilisation alertant sur les impacts du changement climatique et l'urgence d'agir, paru en 2011 sur Eco-congo
  • Emission Karibu Environnement diffusée en novembre 2012 juste avant mon départ de RDC, qui dresse une revue générale de REDD+ et de l'économie verte en RDC

gorille virungaEvidemment, REDD+ n'est pas une solution miracle. Le mécanisme a ses limites, et aussi ses détracteurs. Le film de FERN revient sur la valeur inestimable des forêts, les impacts colossaux de la destruction en cours, mais dresse aussi une critique sévère contre le mécanisme REDD+. De manière générale, je pense que REDD+ présente trois défauts importants : D'abord, une approche fiscale de prélèvement m'aurait paru beaucoup plus efficace pour réduire la déforestation, mais REDD+ a plutôt été pensé comme un mécanisme de marché à l'échelle internationale - même si ça ne préjuge pas de reproduire ce modèle de marché à l'échelle de la mise en œuvre nationale. Ensuite, la logique originelle de REDD+ fondée sur la compensation des coûts d'opportunité a beaucoup nuit à une évaluation réaliste des politiques, mesures et financements nécessaires pour réellement opérer le changement et réduire la déforestation à des échelles nationale, régionale et mondiale... ce dernier point est peu à peu ajusté dans la majeure partie des processus nationaux de préparation. Enfin, une partie importante des causes de la déforestation se situe au niveau de la demande et des marchés mondiaux et ne sont pas considérées dans le périmètre du mécanisme, qui s'applique au niveau des pays forestiers - même si là encore REDD+ peut appuyer voire insuffler des solutions dans les chaînes de valeur des "commodités".

Pour le reste, je pense que certains défauts du mécanisme sont du domaine du "gérable". Par exemple, l'impossibilité de prédire de manière parfaitement robuste la déforestation future et donc d'élaborer un niveau de référence techniquement parfait peut être néanmoins approchée et crédibilisée par les processus de dialogue et de vérification tant techniques que politiques en place. Aussi, les risques d'augmenter la valeur des terres forestières et ainsi d'encourager l'accaparement des terres au détriment des communautés qui en dépendent sont réels mais peuvent être sécurisés grâce aux multiples sauvegardes et standards instaurés par le cadre international. REDD+ démontre partout dans le monde qu'il peut travailler avec et pour les peuples forestiers et les communautés locales, sous réserve d'une volonté politique et de garde-fous que les organisations internationales et locales ensemble peuvent orienter et influer, avec des avancées parfois historiques.

pygmée orientaleEnfin, d'autres critiques ne me semblent pas fondées, notamment en ce qui concerne l'inscription de REDD+ dans la logique de marchandisation de la nature et dans les mécanismes de marché. Dans ce domaine, il appartient aux pays de décider, mais le mécanisme tel qu'il a été pensé et élaboré sous la Convention n'est pas prescriptif en la matière en ce qui concerne sa mise en oeuvre nationale. L'argument de FERN associant REDD+ à des crédits carbone est faux. Un pays comme le Brésil par exemple refuse d'inscrire sa démarche REDD+ dans le cadre des marchés carbone et de vendre ses réductions pour permettre de compenser les émissions dans les pays industrialisés... et le cadre international ne l'y contraint nullement. Le pays est libre de déterminer et négocier les modalités de paiement pour les résultats démontrés, ainsi que les modalités de mise en œuvre du mécanisme à l'échelle nationale et sous-nationale. En aucun cas l'accord international n'oblige l'adoption d'approches de marchés que ce soit dans les paiements aux résultats internationaux ou dans le déploiement des politiques et mesures REDD+ dans les pays.

Bref... Désormais, depuis Nairobi et en appui à différents pays à travers le continent africain, je poursuis mon exploration de ce mécanisme qui me connecte à tous mes sujets de passion : forêt évidemment, climat, environnement au sens large, mais aussi développement, relations internationales... Parmi les grands chantiers nationaux qui m'inspirent particulièrement en ce moment, notons par exemple l'engagement présidentiel pour une production nationale de "cacao zéro déforestation" à partir de 2017 en Côte d'Ivoire, que le gouvernement aborde en associant des approches par filières en partenariat avec les grandes sociétés privées et la mise en place de mécanismes de paiements pour services environnementaux pour accompagner les petits producteurs dans leur changement de pratiques ; l'évolution profonde de la vision de la forêt à Madagascar d'une approche essentiellement conservationniste à un repositionnement de l'arbre au cœur de la stratégie de développement rural du pays ; ou encore les travaux entre l'environnement et les finances en Ethiopie pour faire évoluer le système de comptabilité nationale dans le sens d'une meilleure valorisation de la forêt dans le capital, le développement, le système fiscal et les processus budgétaires du pays... et tant d'autres...

Pour ceux qui voudraient creuser le sujet (mais en anglais essentiellement), le site de la Convention Cadre des Nations Unies sur le Changement Climatique est le dépositaire des différentes décisions internationales qui définissent le mécanisme et le fonctionnement de REDD+. Vous trouverez aussi l'information clé relative à REDD+, ses progrès et défis de par le monde, sur les sites des programmes ONU-REDD, du FCPF , ou encore sur le REDD desk qui dispose d'un traducteur intégré.

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